LA DETTE EST-ELLE SOUTENABLE ? par François Leclerc

Billet invité

Les nouvelles prévisions de croissance mondiale du FMI pour 2014 sont corrigées à la baisse par rapport aux précédentes d’avril, passant de 3,7 à 3,4 %. Cela montre, une fois de plus, combien ces données doivent être accueillies avec circonspection, spécialement dans le contexte actuel. Donner un coup de pouce reste une tentation semble-t-il irrésistible, en s’appuyant sur des pronostics au dixième de point qui deviennent franchement risibles. Surtout qu’une fois quitté le royaume des moyennes et entré dans les détails, les disparités sont grandes et certains chiffres très inquiétants. C’est en particulier le cas en Europe où si la croissance moyenne serait de 1,1 % en 2014, elle serait en Allemagne de 1,9 %, mais de 0,7 % en France et de 0,3 % en l’Italie.

Soigneusement esquivée, sauf lorsqu’il s’agit de la Grèce où le moment fatidique est le plus possible retardé, la question de la soutenabilité de la dette publique n’en est pas moins posée. En effet, quelle niveau de croissance devrait être atteint, et pendant combien d’années, pour dégager un excédent primaire budgétaire qui l’accréditerait ? Barry Eichengreen, professeur à l’université de Berkeley, et Ugo Panizza, du Graduate Institute de Genève, estiment qu’une croissance de 5 % pendant 10 ans serait nécessaire dans le cas de l’Italie – la troisième puissance économique de la zone euro – un cas de figure hautement improbable avec la décennie qui s’annonce. Et si l’Italie ne remplit pas le contrat…

Quoi qu’il en soit, les chiffres sont là : la dette publique de la zone euro est repartie à la hausse début 2014, selon Eurostat, après deux uniques trimestres de baisse en 2013. Elle a atteint 93,9 % du PIB au premier trimestre, contre 92,7 % fin 2013. Faute de changement de stratégie de désendettement, les dirigeants européens en sont réduits à des bouts de chandelle et à poursuivre leurs incantations afin, non pas de faire tomber la pluie, mais de susciter une croissance qu’ils continuent désespérément de voir venir. Mais cela ne sent pas bon : Matteo Renzi commence à s’enliser en Italie avec la réforme du Sénat et les calculs de François Hollande s’avèrent à nouveau faux, à propos de la croissance comme ils l’ont été pour le chômage.

Les esprits se raidissent en Allemagne, où la règle de l’équilibre budgétaire semble tenir lieu de pensée économique. Un groupe de cinq éminents universitaires a déposé un recours en constitutionnalité devant la Cour de Karlsruhe à propos de l’Union bancaire, une entorse à la Loi fondamentale (la constitution allemande) selon eux. Le genre d’initiatives pouvant perturber la fragile accalmie instaurée sous les auspices de la BCE. De son côté, la Bundesbank appelle de manière inusitée à une augmentation des salaires en Allemagne, dans l’intention semble-t-il de faire pièce aux intentions prêtées à la BCE de finir par employer les grands moyens de l’assouplissement quantitatif (la planche à billets). Pour une fois, la variable d’ajustement des salaires est à la hausse !

Les économistes américains n’arrêtent pas de se pencher sur le cas de l’Europe, qui les alarme en raison de l’importance de ses échanges commerciaux avec les États-Unis. Michael J. Boskin, professeur à l’université de Stanford, déplore que les Européens soient « convaincus qu’ils ont résisté à la tempête économique et financière », en considérant l’anémie de la croissance et « le taux ahurissant du chômage ». Il pose le diagnostic suivant : « L’Europe reste prisonnière de trois problèmes : la dette souveraine, l’euro, et la fragilité des banques, en dépit des mesures adoptées ». Et constate que « les accords sur la dette existants ne sont pas suffisants en l’absence d’une croissance forte sur dix ans, ce qui semble pour le moins improbable. Les gouvernements et les banques d’Europe auront à terme besoin d’une solution comme les obligations Brady, qui ont bien fonctionné pour surmonter la crise de la dette sud-américaine dans les années 90… ». Il fait ainsi référence à un échange de titres, dans le cadre duquel il était proposé aux créanciers d’abandonner 50 % de leurs créances contre de nouveaux titres à 30 ans partiellement garantis par les États-Unis, ce qui a fonctionné.

L’Argentine fait bien l’actualité, mais pour une toute autre raison, risquant au contraire de faire la démonstration de la fragilité de tout accord de restructuration avec les créanciers, quand bien même il entrerait en application d’une clause d’action collective en prévoyant à l’émission la possibilité, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. L’inquiétude qui règne quant à l’issue de l’affrontement qui oppose le gouvernement argentin à deux fonds vautours, arbitré par un juge américain qui met de l’huile sur le feu en donnant raison à ces derniers, n’est pas feinte quand elle se manifeste notamment au sein du FMI. Car, au lieu de progresser dans la mise au point d’un mécanisme de restructuration de la dette, un défaut de plus en plus inévitable de l’Argentine élèverait un obstacle supplémentaire sur cette voie. Réponse dans deux jours.